La photogrammétrie 3D et l’imagerie embarquée par drone pour mesurer les hauteurs d’arbres en forêt : cas du pin maritime en forêt des Landes de Gascogne
Résumé
La hauteur des arbres est une mesure incontournable pour évaluer les peuplements forestiers mais elle est difficile à acquérir du point de vue du temps à y consacrer et de la pénibilité pour les agents en charge des inventaires forestiers. Dans le cadre des recherches forestières dans la forêt des Landes de Gascogne, nous avons profité à la fois de l’essor des drones aériens, d’une topographie relativement plate et des plantations régulières de pins maritimes pour étudier les performances de la photogrammétrie 3D pour obtenir des hauteurs d’arbres. Nous montrons à l’aide d’une étude qui s’est déroulée pendant l’hiver 2022 que : (i) le modèle numérique de terrain issu du RGE Alti (1 m de résolution) de l’IGN est une entrée fiable pour des peuplements déjà installés ; (ii) un paramétrage adapté des conditions de vol du drone permet de produire des résultats de qualité suffisante en comparaison des mesures traditionnelles utilisées jusqu’ici ; (iii) la photogrammétrie 3D permet de réduire le temps, la pénibilité des mesures de hauteur, et (iv) le développement des outils informatiques autorise un traitement semi-automatique des données.
Introduction
La mesure des dimensions des arbres, en particulier la hauteur, est couramment utilisée pour évaluer la réponse des peuplements forestiers à différents facteurs tels que la densité du couvert, la composition en espèces, l’origine génétique, etc. La hauteur des arbres forestiers est une de leurs caractéristiques fonctionnelles les plus importantes, qui détermine leurs réponses aux différents facteurs environnementaux ainsi que leur influence sur les propriétés de l’écosystème. La hauteur totale d’un arbre sur pied est définie comme la distance verticale entre le niveau du sol à la base de l’arbre et son point le plus haut, dénommé apex de l’arbre et correspondant au bourgeon terminal de l’axe le plus haut. Actuellement, deux grands types de méthodes sont classiquement mises en œuvre pour mesurer la hauteur des arbres forestiers et elles sont largement documentées (Rondeux, 1999). Il s’agit de la lecture directe de la hauteur sur une perche pour les arbres mesurant jusqu’à une dizaine de mètres, et au-delà, l’utilisation d’un dendromètre. Dans ce cas, cet appareil, par exemple le Vertex, utilise les principes géométriques et trigonométriques (Rondeux & Pauwels, 1998). Ces deux méthodes mobilisent deux opérateurs et demandent un temps long et pénible. La lourdeur des instruments et la visée répétée vers le sommet des arbres sont notamment à l’origine de troubles musculo-squelettiques. De plus, quel que soit l’instrument, la mesure est rendue difficile par l’accès aux terrains forestiers (terrain accidenté, présence et nature du sous-bois...) et par la structure des peuplements qui diminue la visibilité des apex des arbres lorsque les peuplements sont denses et hauts. Ces dernières années, en milieu forestier, des équipes de recherche et des organismes tels que l’Office national des forêts (ONF) et l’Institut national de l’information géographique et forestière (IGN) développent des méthodes basées sur l’utilisation d’outils (capteurs optiques, thermiques, laser) embarqués par des avions, ULM ou drones. Les objectifs de ces méthodes sont la surveillance des feux de forêts (ONF, 2022), l’évaluation de l’état sanitaire des arbres, l’identification des espèces composant les peuplements forestiers et la prédiction de paramètres comme la hauteur dominante (Lucie et al., 2017), la surface terrière, le diamètre dominant et la densité des tiges (Munoz et al., 2015). Cependant, la prédiction de ces paramètres se fait généralement à l’hectare à des fins d’aménagement pour les forêts publiques mais rarement pour acquérir des données pour chaque arbre. Plus récemment, l’amélioration des algorithmes de corrélation d’images a relancé l’intérêt des techniques de photogrammétrie pour estimer ces paramètres forestiers. Des études ont comparé les hauteurs d’arbres obtenues avec des outils traditionnels comme le Vertex avec d’autres outils embarqués sur des drones aériens comme les appareils photographiques et LIDAR (Ganz et al., 2019). Cette dernière technologie LIDAR, pour « laser imaging detection and ranging », est coûteuse et l’analyse reste complexe. Nous avons donc décidé dans cette étude de privilégier l’approche photogrammétrique, plus abordable et plus simple à mettre en œuvre. Il s’agit d’utiliser un capteur photographique RVB classique (rouge, vert, bleu) pour réaliser des prises d’images par drone, puis d’utiliser un algorithme de corrélation d’images pour reconstruire nos peuplements forestiers en 3D.
L’objectif de l’étude présentée ici essaie d’évaluer cette méthode de prise d’images et d’analyses pour obtenir la hauteur des arbres d’un dispositif expérimental de pins maritimes en la comparant aux deux méthodes de mesures traditionnelles. Un échantillon de 50 arbres a été défini pour représenter la gamme de hauteurs présentes sur le dispositif. Ces arbres ont été mesurés au décamètre lesté, ce qui constitue la valeur de référence de la hauteur. Puis, les trois méthodes ont été évaluées : la méthode Perche, la méthode Vertex (deux méthodes traditionnelles), et la méthode Drone. Pour cette dernière, dix modalités ont été testées en faisant varier l’altitude de vol et le nombre d’angles de vue pour l’acquisition des images.
Au sein de ce GIS, le Groupe Pin Maritime du Futur (GPMF) a mis en place un réseau de dispositifs expérimentaux qui permet de définir et de promouvoir des itinéraires sylvicoles adaptés aux conditions bioclimatiques en évolution, de créer et de conserver de nouvelles variétés améliorées. Dans ce cadre, les circonférences et les hauteurs des arbres sont des mesures indispensables pour d’une part estimer leur volume, leur biomasse et donc le stockage de carbone, et d’autre part pour caractériser la croissance des différentes unités génétiques (provenances, familles, individus) dans des environnements contrastés (landes sèches, mésophiles et humides).
La hauteur des arbres est aussi une des variables d’initialisation des modèles empiriques de dynamique forestière (West, 2015) et un des critères principaux de sélection pour la création variétale chez le pin maritime (Bouffier et al., 2016). En raison de la difficulté à mettre en œuvre cette mesure, les hauteurs ne peuvent être acquises annuellement et/ou seulement pour un échantillon d’arbres d’un dispositif. Après le stade juvénile, les mesures sont faites soit sur un échantillon de 25 arbres par traitement de densité pour les scenarii sylvicoles soit uniquement à 8 ans et 12 ans pour caractériser les différentes unités génétiques. L’apport de mesures annuelles de hauteur sur l’ensemble des arbres d’un dispositif à l’aide du drone et de la photogrammétrie 3D serait déterminant pour accéder au suivi longitudinal annuel des arbres. Ce suivi permettrait également d’analyser directement les variations de dimensions des arbres des différentes unités génétiques selon les conditions environnementales annuelles.
Matériels et méthodes
Description du dispositif test
Le dispositif étudié est situé sur le domaine expérimental INRAE de Cestas-Pierroton (Gironde). Il a été mis en place dans le cadre du projet FEDER Abiogen, qui porte sur l’analyse de l’architecture génétique de la dynamique de croissance du pin maritime.
Les graines ont été semées puis élevées en pépinière en mai 2007 et la plantation s’est faite fin 2007. Un total de 1541 pins maritimes (Pinus pinaster Ait.) d’âge identique ont été plantés sur une surface de 1,4 ha (120 m x 120 m) en 28 rangs parallèles de 55 pins chacun. La densité de plantation est de 1250 arbres par hectare (4 x 2 m). Une première coupe partielle, consistant à enlever de façon systématique un arbre sur deux, a été réalisée à l’été 2021 avant la première série de mesures de hauteur.
Ce dispositif est composé de trois familles issues de croisements contrôlés entre individus d’origine géographique différente (figure 1) : Corse, Landes et Maroc. Ces trois écotypes ont été choisis pour leurs caractéristiques intrinsèques principales : l’écotype landais présente un fort taux de croissance en hauteur, l’écotype Corse offre une bonne rectitude du tronc et l’écotype marocain une bonne résistance à la sécheresse.
Les individus de chaque croisement ont été regroupés au sein de placettes disposées de manière aléatoire au sein d’un dispositif divisé en 8 placettes : 3 correspondent au croisement Corse x Landes, 3 autres au croisement Maroc x Landes et les 2 dernières au croisement Corse x Maroc (figure 1).
Les mesures de hauteur des arbres
Dans le cadre de cette étude, 50 arbres ont été sélectionnés pour représenter la gamme de hauteurs présentes sur le dispositif (figure 1 – tableau 1). La répartition des hauteurs des arbres choisis est présentée sur la figure 2. Ces 50 arbres ont été mesurés au décamètre lesté, ce qui constitue la valeur de référence de la hauteur. Puis, trois méthodes ont été évaluées : la méthode Perche, la méthode Vertex et la méthode Drone. Pour cette dernière, 10 modalités ont été testées en faisant varier l’altitude de vol et le nombre d’angles de vue pour l’acquisition des images.
Mesures de référence réalisées au décamètre lesté
Les hauteurs de référence ont été mesurées pendant l’hiver 2022, à l’aide d’une nacelle et d’un décamètre lesté (image 1). La mesure de référence a donc été évaluée orthogonalement de l’apex de l’arbre (bourgeon terminal le plus haut) jusqu’au niveau du sol. La hauteur moyenne des 50 arbres mesurés est de 1116 cm avec une répartition des hauteurs par croisement décrite dans le tableau 1. Ces mesures de référence nous permettent d’évaluer dans un premier temps l’ensemble de nos modalités expérimentales par rapport à la valeur dite vraie de la hauteur des arbres.
Famille | Nombre d’individus | Hauteurs min-max (cm) |
Corse x Landes | 17 | 1134 - 1486 |
Corse x Maroc | 16 | 793 - 1084 |
Maroc x Landes | 17 | 993 - 1262 |
Mesures manuelles traditionnelles
Sur ces mêmes arbres, deux séries de mesures manuelles de hauteur ont été réalisées avec les outils utilisés traditionnellement pour les inventaires forestiers à cet âge de peuplement.
Mesures réalisées à la perche
Pour la première série, deux opérateurs ont réalisé les mesures grâce à une perche télescopique. Le premier opérateur positionne la perche à l’aplomb du point haut à mesurer et le second opérateur se positionne pour indiquer à son collègue quand l’extrémité de la perche se situe au niveau de l’apex (image 2A). À noter qu’avec la perche les mesures n’ont été possibles que jusqu’à une hauteur de 1400 cm, empêchant d’évaluer 4 des 50 arbres.
Mesures réalisées au dendromètre Vertex
Pour la seconde série, les mesures sont réalisées par 2 opérateurs à l’aide d’un dendromètre à ultrasons (©Vertex Haglöf). Le premier opérateur dispose un transpondeur à une hauteur de 1,3 m du sol et à l’aplomb du point le plus haut de l’arbre, c’est-à-dire l’apex de l’arbre. Le second opérateur se place à une distance équivalente à la hauteur de l’arbre et vise successivement le transpondeur et l’apex de l’arbre grâce à une mire située dans le viseur du Vertex (image 2B). La mesure repose sur la triangulation entre le transpondeur, la position du second opérateur et l’apex de l’arbre sélectionné.
Mesures automatiques par photogrammétrie aérienne
Prises d’images par drone
Pour la méthode Drone, dix modalités expérimentales d’acquisition des photos aériennes (tableau 2) ont été évaluées en faisant varier l’altitude de vol et le nombre d’angles de prise de vue. Elles correspondent à 5 altitudes de vol croissantes couplées à l’utilisation des images issues soit d’un seul vol avec des images plongeantes (vision du NADIR – prise de vue réalisée avec un angle de 90° par rapport au sol), soit de deux vols croisés avec des images plongeantes comme le premier (NADIR) et des images en oblique (la nacelle est orientée à 60° par rapport au sol) comme le montre l’image 3.
Les prises d’images ont été réalisées pendant l’hiver 2022 grâce au logiciel de planification de vol GSPro avec un drone DJI Phantom 4 Pro V2. Il est équipé d’un capteur RVB CMOS 1 pouce de 20 millions de pixel, d’une focale de 8,8 mm offrant un champ focal vertical de 84°. Les images prises pendant les vols sont au format jpeg et d’une taille de 5472 x 3648 pixels.
Les modalités de vol ont été identiques pour les différentes altitudes de vols, 40 – 60 – 80 – 100 – 120 m, soit :
● Recouvrement frontal 85 %, latéral 85 % ;
● 2 vols croisés (image 3) avec un angle de nacelle à 90° (NADIR) et le second à 60° (oblique) ;
● 2 m.s-1 < vitesse de vol < 3 m.s-1 et prise d’images toutes les 3 secondes ;
● Réglages de prise de vue :
○ ISO 200 à 400 ;
○ Mode priorité vitesse 1/200e (ouverture 4 à 5,6) ;
○ Balance automatique des blancs ;
○ Mise au point matricielle (multizone).
Lors des vols, 11 points de contrôle au sol matérialisés par des plaques en damier visibles depuis la position du drone ont été disposés autour de la parcelle. Le centre de ces plaques a été géolocalisé à l’aide d’un récepteur GPS de précision centimétrique (Trimble R4S + TCD600).
Reconstruction 3D de la parcelle
Le processus de reconstruction 3D de la parcelle diffère selon le nombre d’angles de prises de vues considérées : uniquement l’angle de 90° (notation 1D), 2 angles de caméra (notation 2D).
Le logiciel utilisé est Agisoft Metashape 2.0.4. Il permet de réaliser les différentes étapes de reconstruction d’un nuage dense 3D dont seront issus les différents éléments nécessaires aux mesures de hauteur :
● MNE : modèle numérique d’élévation dont l’information contenue dans ses pixels correspond à l’altitude de la partie supérieure du modèle 3D, c’est-à-dire des houppiers des arbres notamment.
● MNT : le modèle numérique de terrain dont l’information contenue dans ses pixels correspond à l’altitude de la partie inférieure du modèle 3D, principalement le sol.
● L’orthophotographie : assemblage des différentes images prises par drone, celles-ci étant ortho-rectifiées pour que chaque pixel de l’image finale soit orthogonal au sol.
Pour chaque modalité de vol, les mêmes paramètres utilisés dans les étapes successives de reconstruction ont été appliqués, à savoir :
● Alignement des images : qualité haute ;
● Correction des positions de caméras grâce à 11 points de contrôle (GCP) au niveau du sol (image 4) prises grâce au GPS. Cette étape permet le géoréférencement au centimètre du nuage de points, des modèles numériques et de l’orthophotographie ;
● Génération d’un nuage dense en haute qualité avec filtrage léger (nettoyage manuel du bruit généré lors du processus) ;
● Classification du nuage dense en 2 classes : végétation et terrain avec les paramètres :
○ Angle maximal 15° ;
○ Distance maximale 1 m ;
○ Taille de cellule 50 m.
● Génération du modèle numérique d’élévation (MNE) et du modèle numérique de terrain (MNT) et exportation en projection Lambert 93 (EPSG 2154) ;
● Construction d’une ortho-photographie de la parcelle et exportation en projection Lambert 93 (EPSG 2154).
Modalité | Altitude de vol | Angles de caméra | Résolution au sol |
drone_40_2D | 40 m | 90 – 60 | 0,92 cm/pixel |
drone_40_1D | 90 | ||
drone_60_2D | 60 m | 90 – 60 | 1,61 cm/pixel |
drone_60_1D | 90 | ||
drone_80_2D | 80 m | 90 – 60 | 2,05 cm/pixel |
drone_80_1D | 90 | ||
drone_100_2D | 100 m | 90 – 60 | 2,60 cm/pixel |
drone_100_1D | 90 | ||
drone_120_2D | 120 m | 90 – 60 | 3,05 cm/pixel |
drone_120_1D | 90 |
Estimation des hauteurs des arbres à partir des modèles numériques
Dans le cadre des recherches en sylviculture et génétique forestière, de nombreux dispositifs à évaluer vers 12-13 ans n’ont pas été topographiés précisément lors de la plantation. Dans cette étude, nous avons donc décidé de tester deux méthodes différentes pour calculer les hauteurs des arbres à partir des modèles numériques issus du procédé photogrammétrique.
La première consiste à créer un modèle numérique de canopée (MNC) issu de la soustraction des MNE et MNT obtenus lors du traitement fait à l’aide du logiciel Agisoft Metashape (mtshp) donc uniquement par les traitements des orthophotographies :
MNC mtshp = MNE mtshp – MNT mtshp
La seconde méthode consiste à utiliser le MNE issu du procédé photogrammétrique et le MNTIGN fourni par l’IGN par l’intermédiaire du RGE Alti à 1 m (résolution d’un pixel = 1 mètre). À noter que nous avons dû corriger le biais du MNTIGN pour le faire correspondre aux altitudes mesurées par le GPS centimétrique au niveau des 11 points de contrôle au sol (tableau 3). Une valeur moyenne de 53 cm a été soustraite à l’ensemble des pixels du MNTIGN avant de réaliser la soustraction avec le MNEmtshp.
MNC IGN = MNE mtshp – (MNTIGN - 0,53)
Numéro des cibles au sol | Altitude IGN (m) | Altitude GPS (m) | Différence (m) |
GCP1 | 59,20 | 58,67 | 0,53 |
GCP2 | 59,22 | 58,81 | 0,41 |
GCP3 | 59,20 | 58,83 | 0,37 |
GCP4 | 59,38 | 58,89 | 0,49 |
GCP5 | 59,22 | 58,79 | 0,43 |
GCP6 | 59,40 | 58,75 | 0,65 |
GCP7 | 59,34 | 58,81 | 0,53 |
GCP8 | 59,25 | 58,68 | 0,57 |
GCP9 | 59,20 | 58,53 | 0,67 |
GCP10 | 59,15 | 58,53 | 0,62 |
GCP11 | 59,09 | 58,57 | 0,52 |
Moyenne | 0,53 | ||
Écart type | 0,10 |
L’exploitation des modèles numériques issus du procédé photogrammétrique se fait à l’aide d’un système d’information géographique libre et open source, QGIS. Il permet les analyses des MNC (raster = matrice de pixels) et des vecteurs comme les zones tampons ou des points géolocalisés.
Les plantations expérimentales de pins maritimes dans le massif des Landes de Gascogne sont installées en lignes, ici dans notre cas avec un interligne de 4 m et un inter-rang de 2 m. Il est donc possible grâce aux coordonnées géographiques de précision centimétrique des 4 coins du dispositif et à l’outil GeoDispo (Denou, 2020), de calculer les coordonnées géographiques de l’emplacement de plantation de chaque arbre sur l’ensemble du dispositif. Pour rechercher l’apex de l’arbre dans le MNC, deux étapes sont nécessaires. On fait d’abord l’hypothèse que l’apex de l’arbre se trouve à l’aplomb de son emplacement de plantation. Puis, afin de tenir compte du caractère flexueux du pin maritime et d’éventuelles penchaisons, nous avons dessiné une zone circulaire de 1 m de diamètre autour de cet emplacement théorique. Ensuite, grâce à l’outil Statistique de zone de QGIS, il est possible de récupérer la hauteur du pixel le plus haut du MNC dans cette zone de recherche, ce qui correspondrait à la valeur de l’apex de l’arbre. C’est cette valeur de hauteur qui est attribuée à chaque arbre (image 5).
La zone circulaire d’un mètre de diamètre en rouge est centrée sur l’emplacement théorique de plantation de l’arbre tandis que le maximum local issu de la recherche QGIS dans cette zone est illustré par un point blanc
Résultats et analyses
Les mesures de hauteurs obtenues sur notre échantillon de 50 arbres grâce au procédé photogrammétrique appliqué aux images prises par drone selon les dix modalités d’acquisition ont été analysées avec plusieurs objectifs :
● Comparer les mesures de hauteur obtenues par drone en fonction du MNT choisi : MNTmtshp pour obtenir une MNCmtshp vs MNTIGN corrigé pour obtenir un MNCIGN afin de sélectionner le MNC le plus précis pour la suite des analyses.
● Analyser les erreurs de mesure entre les hauteurs de référence et les mesures obtenues avec les méthodes manuelles traditionnelles (Perche, Vertex) et la méthode Drone selon dix modalités d’acquisition afin de sélectionner la modalité Drone la plus précise dans notre contexte d’étude, en utilisant la formule : Erreur = Hauteur méthode Perche ou Vertex ou Drone - Hauteur référence
● Analyser les corrélations entre mesures de référence, méthode traditionnelle Vertex et méthode Drone sélectionnée selon deux indices statistiques :
○ Corrélation de Pearson pour mesurer la force et la direction d’une relation linéaire entre deux variables continues ;
○ Corrélation de Kendall pour évaluer la conservation des rangs.
Choix du modèle numérique de terrain (MNT)
Les résultats obtenus sur la moyenne des hauteurs des 50 arbres sont synthétisés dans le tableau 4 ci-dessous. Ces hauteurs sont à mettre en regard de la mesure de référence moyenne de 1116 cm faite à la nacelle et au décamètre lesté.
MNT | H40_1D | H40_2D | H60_1D | H60_2D | H80_1D | H80_2D | H100_1D | H100_2D | H120_1D | H120_2D |
IGN | 1074 / -42 | 1105 / -11 | 1061 / -55 | 1086 / -30 | 1067 / -49 | 1065 / -51 | 1035 / -81 | 1066 / -50 | 1027 / -89 | 1044 / -72 |
mtshp | 1066 / -50 | 1099 / -17 | 1055 / -61 | 1079 / -37 | 1060 / -56 | 1055 / -61 | 1025 / -91 | 1055 / -61 | 1017 / -99 | 1031 / -85 |
On constate que les hauteurs MNCIGN obtenues à l’aide du MNTIGN sont systématiquement supérieures aux hauteurs MNCmtshp obtenues avec le MNTmtshp. L’hypothèse que nous faisons pour cette différence est qu’elle est due à une limitation liée au procédé photogrammétrique. En effet, le logiciel réalise une corrélation des différentes images d’une même scène. Cette étape s’avère plus délicate pour des zones masquées par les branches et la végétation haute et donc plus particulièrement pour le sol situé au pied de l’arbre. Metashape réalise une interpolation pour combler ces zones invisibles du sol. Nous concluons que cette interpolation peut être gênée par les pixels à proximité correspondant plus à de la végétation haute qu’au sol. Cela entraîne donc une surévaluation du niveau du sol, ce qui se traduit par une mesure de hauteur inférieure de la canopée (MNCmtshp) à celle obtenue par soustraction avec le MNTIGN.
Dans la suite de cette étude, pour comparer les deux méthodes traditionnelles avec la méthode Drone, nous avons donc décidé d’utiliser les mesures de hauteurs MNCIGN obtenues avec le MNTIGN (débiaisé).
Comparaison des mesures expérimentales aux valeurs de référence
Nous avons comparé les hauteurs des arbres issues des mesures traditionnelles (Vertex, Perche) et celles obtenues par photogrammétrie aérienne aux valeurs de référence (valeur vraie) obtenues avec la nacelle et le décamètre lesté (méthode de référence). L’écart des mesures obtenues pour chaque méthode expérimentale par rapport à la référence a été observé pour la campagne hivernale 2022. Les résultats sont présentés sur la figure 3 ci-dessous et dans le tableau 5.
Vertex | Perche | Drone | |||||||||
H40_1D | H40_2D | H60_1D | H60_2D | H80_1D | H80_2D | H100_1D | H100_2D | H120_1D | H120_2D | ||
1.14 | 0.53 | 3.85 | 1.34 | 5.31 | 2.84 | 4.55 | 4.64 | 7.26 | 4.64 | 8.19 | 6.52 |
-2.21 +3.54 | -1.43 +1.78 | -8.61 +0.24 | -6.94 +2.33 | -22.70 +3.87 | -9.71 -0.23 | -10.97 +1.34 | -9.96 -0.36 | -20.18 -2.63 | -9.33 -1.23 | -22.31 +0.67 | -20.68 -1.14 |
Pour les deux méthodes traditionnelles, on constate que l’erreur moyenne absolue en pourcentage par rapport aux hauteurs des arbres est de 1,14 % avec le Vertex tandis qu’avec l’utilisation de la perche, elle est de 0,53 %. La variabilité des mesures est plus forte avec le Vertex qu’avec la perche.
Concernant les mesures obtenues par photogrammétrie aérienne, l’erreur de mesure des hauteurs d’arbres augmente globalement avec l’altitude de vol et se situe entre 1,34 % (altitude de vol 40 m) et 8,19 % (altitude de vol 120 m). Pour toutes les altitudes de vol, l’ajout d’un deuxième angle de prise de vue réduit cette erreur.
Pour la poursuite des analyses, nous conserverons la modalité d’acquisition au drone avec l’erreur la plus faible (1,34 %), soit deux vols croisés à une altitude de 40 m permettant l’utilisation des 2 angles de prise de vue (60 et 90°).
Cette modalité sous-estime dans 80 % des cas la hauteur des arbres et l’erreur oscille entre -6,94 % et +2,33 %.
Comparaison des mesures de hauteur au Vertex vs Drone H40_2D
Nous considérons donc uniquement les résultats obtenus avec le Vertex car cette méthode permet la mesure de tous les arbres du dispositif sans restriction d’une hauteur maximale, et la modalité H40_2D de la méthode Drone présentant la plus faible erreur moyenne absolue par rapport aux mesures de référence.
Corrélation entre méthodes Vertex, Drone et mesures de référence
On constate une corrélation linéaire positive très forte de nos deux méthodes de mesures de hauteur par rapport aux valeurs de référence (corrélation de Pearson figure 4).
On précise également avec la corrélation de Kendall (figure 5) que le rang des arbres au sein de l’échantillonnage est très bien respecté vis-à-vis des valeurs de référence avec notamment une corrélation de Kendall de 0,96 pour la méthode Drone. Cela signifie donc que les arbres identifiés comme de classe « petites hauteurs » avec la méthode de référence sont dans la même classe avec les autres méthodes et ainsi pour les classes « hauteurs moyennes » et « grandes hauteurs ».
Au regard de ces corrélations, il semble donc possible de réaliser la mesure en hauteur des arbres par photogrammétrie aérienne puisqu’elle fournit des corrélations avec la méthode de référence au moins aussi satisfaisantes que la méthode Vertex classiquement utilisée.
Erreur de mesure en fonction de la hauteur de l’arbre
Nous souhaitons qualifier la mesure Drone en déterminant l’erreur de mesure engendrée par le Vertex et celle engendrée par la photogrammétrie 3D (drone_40_2D) en fonction de la hauteur de l’arbre.
La figure 6 nous indique que la méthode par drone induit un biais systématique négatif de la mesure quelle que soit la hauteur des arbres (entre 800 et 1500 cm). Cet écart est cependant de faible valeur : entre -40cm et +20cm pour une hauteur moyenne de 1116 cm, soit entre -3,58 % et +1,79 % de la hauteur moyenne des arbres.
Quant au Vertex, l’écart moyen par rapport à la référence est compris entre -20 cm et +40 cm, soit entre -1,79 % et + 3,58 % mais la pente de notre droite d’ajustement positive semble indiquer une tendance à surévaluer légèrement les grands arbres de notre échantillon.
Conclusion
L’objectif de l’étude est d’évaluer l’application de la photogrammétrie 3D aérienne dans l’évaluation de la hauteur individuelle des arbres au sein d’un peuplement forestier au regard des méthodes traditionnellement utilisées que sont la perche et le Vertex.
Choix du MNT
Lorsqu’il s’agit d’évaluer la hauteur des arbres sur des dispositifs plantés avant le développement de la méthode Drone et donc pour lesquels il n’existe pas de modèle numérique de terrain, l’utilisation du RGE Alti à 1 m (MNTIGN) est tout à fait satisfaisante et préférable à celle d’un MNTmtshp généré lors de la reconstruction 3D dans notre contexte de la forêt des Landes de Gascogne à la topographie relativement plate.
Pour les nouveaux dispositifs à planter, nous conseillons d’établir un MNTmtshp issu d’un vol drone réalisé lors de la plantation, ce qui permettra de s’affranchir de toute végétation et ainsi optimiser le relevé topographique de la parcelle et les mesures de hauteurs ultérieures.
Paramètres d’acquisition drone
Les paramètres d’acquisition optimaux pour notre cas d’étude sont une altitude de vol de 40m, deux cheminements croisés avec chacun un angle de caméra différent de 90° et 60°. Le recouvrement des images est fixé à 85 %. Ainsi nous estimons la hauteur des arbres avec une erreur moyenne de 1,14 %, en sachant que dans 80 % des cas, les mesures faites par photogrammétrie sous-estiment la hauteur. Nous attribuons ce biais systématique au fait que la gamme de résolution d’un pixel ne permet pas de reconstruire les éléments les plus fins au niveau de la cime. Diminuer la hauteur de vol permet d’augmenter la résolution du pixel mais cela engendre d’autres contraintes qui ne sont pas souhaitables. Nous avons testé des altitudes de vol de 20 m et 25 m en gardant un taux de recouvrement à 85 % (non présentées dans cette étude). Nous avons alors constaté que les temps de vol sont beaucoup plus longs, entraînant de possibles changements de luminosité et des scènes trop homogènes générant des problèmes d’alignement des caméras lors de la reconstruction 3D.
Gain de temps et pénibilité
Le procédé photogrammétrique réalisé à partir d’images prises lors du vol du drone à 40 m d’altitude nous paraît optimal pour des pins d’une hauteur comprise approximativement entre 10 m et 15 m. Nous attirons l’attention sur le fait que la mesure par photogrammétrie ne peut être réalisée que pour des pins dont la cime n’est pas dominée par un voisin et visible depuis le ciel par la caméra du drone. Dans le cas de peuplements plus hétérogènes en hauteurs, notre conseil serait de réaliser plusieurs vols à des altitudes différentes et d’extraire les mesures de hauteur par classe de dimensions. L’utilisation de la photogrammétrie 3D pour des hauteurs inférieures à 10 m est également possible mais si leur mesure à la perche est possible, cette méthode reste plus précise.
En utilisant cette méthodologie en routine, nous espérons un gain de temps significatif lors des campagnes de mesures hivernales et une diminution des troubles de santé engendrés par la mesure traditionnelle à la perche et au Vertex. À titre de comparaison, les 2 survols de la parcelle d’un hectare et la géolocalisation des 11 points de contrôle au sol ont duré environ 2 heures. Le temps de traitement pour la reconstruction 3D avec le logiciel Metashape pour 900 images et la production des MNE et orthophotographie a été de 124 minutes avec une installation informatique adaptée (CPU : Intel(R) Core(TM) i9-13900K, GPU : NVIDIA GeForce RTX 4090). Le traitement des modèles numériques à l’aide de QGIS n’est que de l’ordre de quelques heures (selon le nombre d’arbres) et pourra être optimisé grâce à l’utilisation du langage R et au développement de librairies informatiques comme :
● terra : pour la manipulation d’objets rasters (https://cran.rproject.org/web/packages/terra/index.html) ;
● SF : pour la manipulation d’objets vecteurs ;
● lidR : pour les outils de détection et l’analyse des MNE, MNT et MNC notamment (https://github.com/r-lidar/lidR) ;
● lidaRtRee : permet également la détection, segmentation et les analyses de modèles numériques (https://forgemia.inra.fr/lidar/lidaRtRee).
Conclusion générale et perspectives
La méthode par photogrammétrie 3D est donc applicable pour les mesures de hauteur de pins maritimes. Il conviendra d’ajuster l’altitude de vol à la taille des arbres. Cette technique pourra remplacer à l’avenir les méthodes traditionnelles (Vertex, Perche). Nous pensons que la photogrammétrie 3D peut être appliquée pour des résineux qui possèdent des aiguilles toute l’année. Une étude similaire serait à entreprendre pour les peuplements de conifères caducs et de feuillus afin de confirmer la possibilité de transposer cette méthode à d’autres espèces. Nous avons pu constater la difficulté de capturer des éléments fins type branches sans feuilles ou aiguilles, plus on s’éloigne en altitude de la cime des arbres.
La photogrammétrie 3D a un fort potentiel pour améliorer les conditions de travail des opérateurs et opératrices en charge des inventaires forestiers et notamment les hauteurs d’arbres pour le cas du pin maritime tout en gardant un niveau de précision adapté aux recherches forestières à INRAE. Néanmoins ce changement de pratique doit s’accompagner d’une adaptation des protocoles pour les inventaires forestiers. En effet, les arbres penchés ou présentant un défaut important, ou encore s’ils possèdent des houppiers dominés, doivent être exclus des résultats de mesure automatique de hauteur. Une notation appropriée doit donc être assignée aux arbres selon la configuration de leurs houppiers et de la rectitude de leurs troncs afin de fournir un élément de décision quant à l’exploitation des hauteurs obtenues par la méthode Drone. Cette notation pourra se faire aisément lors des campagnes de mesures de circonférence de tronc.
Sur la base des librairies R mentionnées ci-dessus, nous souhaiterions développer un outil graphique de détection plus intuitif et convivial qui ne nécessitera pas de compétences spécifiques en codage informatique.
Remerciements
Nous tenons à remercier l’ensemble de nos collègues de l’UEFP et de l’UMR Biogeco qui ont participé aux campagnes de mesures de hauteur à la fois avec les méthodes traditionnelles et la méthode par photogrammétrie. Nous tenons à remercier particulièrement Audrey Albet, Bernard Issenhuth, Jean-Luc Denou, Joan Hochet, Frédéric Bernier, Bernard Dokhelar de l’UEFP et Benjamin Dencausse, Yannick Mellerin de l’UMR Biogeco. Un remerciement particulier également à notre collègue Éric Roy de l’URP3F à Lusignan qui nous a initiés à l’utilisation de l’imagerie embarquée par drone et au traitement photogrammétrique.
Références
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